N°11 LE DEUXIÈME SEXE
de Simone de Beauvoir (1949)
Pour être classé 11e du XXe siècle, il fallait être une femme comme Simone de Beauvoir (1908-1986), l'auteur du Deuxième Sexe. Car le XXe siècle est celui de la lutte des classes mais aussi de la lutte des sexes. Pendant des millions d'années, les hommes ont opprimé les femmes, et voici qu'aujourd'hui Jean-Paul Sartre (13e) est battu par sa propre femme dans cet inventaire littéraire. Telle est la magie du féminisme, sans doute la plus importante révolution du siècle, une libération dont les conséquences commencent seulement de se faire sentir : invention du Viagra, du PACS, du gode-ceinture, des Chiennes de Garde, du Fight Club, de la pilule du lendemain, du préservatif féminin...
Qu'y a-t-il de si bouleversifiant dans Le Deuxième Sexe? Un peu la même théorie que dans L'Être et le Néant (en plus lisible) : la femme croit qu'elle doit être jolie et douce et passive, alors que ces qualités sont le fruit d'un lavage de cerveau de la société. Là aussi, l'existence précède l'essence : si à sa naissance on ne lui inculquait pas qu'elle était le « deuxième sexe » ou le « sexe faible » ou le « beau sexe », la femme serait un homme comme les autres, puisque : « On ne naît pas femme, on le devient. » La Beauvoir s'appuie sur son éducation bourgeoise de jeune fille rangée mais aussi sur la littérature, et en particulier sur des auteurs qui figurent dans notre inventaire, comme André Breton et D.H. Lawrence, pour montrer que la femme est toujours définie par l'homme, comme SON épouse, SA pute, SA mère. Or ce qui est embêtant, ce n'est pas d'être une madone ou une maîtresse ou une servante, c'est d'être SA quelque chose, SON objet, SON machin. Le Deuxième Sexe est un titre ironique pour un pamphlet qui veut non pas féminiser les mots comme il en est question aujourd'hui, ni même réclamer la parité à l'Assemblée nationale, mais simplement obtenir la suppression de l'adjectif possessif.
Prix Goncourt en 1954 pour Les Mandarins, une satire du marigot intello parigot, Simone de Beauvoir restera surtout pour cet essai fondateur du mouvement féministe mondial, qui se conclut sur une belle citation de Laforgue : « 0 jeunes filles, quand serez-vous nos frères, nos frères intimes sans arrière-pensée d'exploitation ? » Dans sa vie privée, Sartre et elle surent admirablement appliquer cette pensée : sans se marier ni se reproduire, ils ne se quittèrent jamais alors qu'ils se racontaient leurs tromperies, que Simone fut bisexuelle, puis tomba amoureuse de Nelson Algren, puis porta un turban, puis se transforma en castor (et par conséquent Sartre en zoophile). Bref, deux mandarins prouvèrent que l'on pouvait s'aimer entre sexes différents, en toute liberté, avec échangisme et indépendance.
Personnellement, je le dis tout net : je pense que le féminisme est la seule utopie réussie du XXe siècle. Je suis bien content que ma fiancée travaille : comme ça je ne l'ai pas toute la journée sur le dos et, en plus, elle ramène du fric à la maison.